Non, une pmette qui vit le bonheur de bercer enfin un bébé n'oublie pas ses années de galères. Ces dernières semaines, le boomerang me revient souvent des émotions vécues, des frustrations, des ressentis.
Je le sens quand à la longue table de la cantine, l'assemblée essentiellement féminine se lance sur un débat/concours des derniers exploits des minis. Quand mon "moi-maman" sourit béatement en me disant que ça y est, moi aussi j'ai ma carte de membre. Mais j'ai un mode sécurité fortement ancré, qui me retient de tenir trop longtemps ce type de conversation, qui me rend attentive à celles qui plongent le nez dans leurs assiettes en se découvrant une soudaine (et inexplicable, vu le menu) passion pour son contenu. Celles qui ont certainement de bonnes raisons de vouloir fuir ce sujet. Celles dont je faisais partie il y a peu encore. Je copine du regard, je souris discrètement, je lance une passionnante discussion sur un sujet autre.
Je le sens quand je me plains de petites nuits, de dents qui font bobo, de repas à négocier serré pour que bébé nuage les avale...j'ai presque l'impression de faire une blague. Parce qu'en fait, même pour les réveils en pleine nuit, ma petite voix me répète "tu as de la chance! c'est du bonheur de pouvoir vivre ces si douces contrariétés, de s'inquiéter, de se plaindre...". Je m'entends encore dire ou penser très fort en serrant les mâchoires "arrêtez de vous plaindre de vos mômes, y'en a qui donneraient tout ce qu'elles ont pour pouvoir avoir vos cernes/laver les cacas qui débordent/se brouiller avec le conjoint qui ne veut pas se lever/ne pas réussir à perdre leurs kilos de grossesse...". Donc auto-flagellation quand je me laisse aller à des plaintes. Je ne m'en sens pas le droit, je culpabilise après coup.
Comme si je trahissais mon "moi-pmette", mon moi d'avant, celle qui faisait partie du club des looseuses-au-ventre-stérile, unies dans la détestation des ventre-ronds, dans les parcours du combattant.
Je l'ai ressenti de façon cuisante quand j'ai lu ces billets qui prennent aux tripes des pmettes toujours sur le quai, qui déversent -et comme elles ont raison, comme je les comprends- leurs haines envers DNLP (Dame Nature La Pute, pour les non-initiés, ceux sans cicatrices), leurs blessures et leurs désespoirs post-échecs. Je me suis sentie impuissante et surtout non-autorisée à ne serait-ce que tenter un commentaire de soutien. Parce que j'ai perdu ma carte de membre ? Parce que je suis passée du côté clair de la Force en expulsant bébé nuage ?
Cette dualité, c'est encore une marque à vie des ex-pmettes. Avoir galéré avant, et se sentir encore bridée une fois maman, comme retenue par la pudeur, par l'expérience, par le respect envers les candidates au tirage au sort de la cigogne, proches ou anonymes que je croise de plus en plus sur ma route.
Mais j'ai créé ce blog aussi pour ça, pour parler de la pma, mes souvenirs de pendant, et mon ressenti d'après. Parce qu'il n'y a pas que sur la peau que j'ai des tatouages, mais dans le cœur aussi. Parce que je veux concilier mon parcours et sa continuité. Parce que mon soutien envers celles (et ceux à leurs côtés, que je n'oublie pas) qui galèrent reste entier. Elles peuvent m'en vouloir, j'ai détesté avant elles les mamans du monde entier, je comprends. Je suis là pour compatir, c'est un minimum. Et en même temps, je revendique haut et fort mon statut d'agent double fière de l'être:
Je n'ai pas oublié mon moi-pmette si meurtrie, je veux profiter de mon moi-maman pleinement et sans culpabiliser. Je suis les deux.
Et je vais m'inscrire au BAMP, tiens.