Pour le premier billet de ce blog, j'avais envie de parler d'un lieu symbolique de notre parcours dans les nuages: la salle d'attente du cabinet de PMA, là où on a laissé tant d'émotions. Pas celle du laboratoire de FIV, mais bien du cabinet de la gynéco spé, dont j'ai poussé la porte au moins 50 fois (et ce n'est pas qu'une expression...).
La première fois qu'on y a mis les pieds, on était en mode positifs; on avait enfin notre rendez-vous après 4 mois d'attente (et encore, on avait eu de la chance d'avoir un délai si court), on arrivait avec le sentiment qu'on allait enfin pouvoir nous aider, qu'on allait devenir actifs de notre désir d'enfant, et ne plus subir ces échecs répétés seuls dans notre coin. On a débarqué remontés à bloc, équipés d'un dossier tout neuf (qui se transformerait au fil des mois/ans en tote-bag de PMA). On était contents que le cabinet ne soit pas dans les locaux de la clinique, juste en face, mais au moins on ne franchissait pas les portes d'un hôpital, c'était plus léger, moins "pathologique". On se sentait comme des gagnants du ticket d'or qui franchissaient les portes du temple de la fabrication des bébés...
Dans la salle d'attente il y avait cette radio que je n'aime pas, trop excitée, trop "fun", trop décalée par rapport à notre état d'esprit. Ces posters qui invitaient à rejoindre des groupes de paroles PMA, ces campagnes pour inviter aux dons. Ces courses effrénées des secrétaires ou des docteurs (la nôtre courait du matin au soir) qui contrastaient avec nos attentes fébriles et sagement immobiles. Trop peu de chaises, et souvent d'ailleurs on a joué à se décaler pour pouvoir laisser un duo côte à côte, souvent certain-e-s ont fait preuve d'élégance en cédant leur place. Depuis la salle d'attente on voyait, quand la porte était ouverte, le mur de la salle d'archives, couvert de photos de bébés et autre faire-parts qui ne pouvaient évidemment pas être affichés ailleurs. J'y ai souvent glissé un œil humide. Dans cette salle d'attente il n'y avait aucun parfum pour s'évader, aucun recoin pour se préserver. J'ai même parfois préféré attendre dehors pour échapper à l'Ambiance.
Oui, parce que dans cette trop petite salle d'attente, ce qui prenait le plus de place c'est l'Ambiance. Ce mélange si particulier d'intime que l'on partage malgré nous. Parce qu'on savait tous pourquoi on était là, parce que d'apparence/d'âge si différents, les souriants comme les exaspérés, les tristounes comme les gênés, les timides ou les résolus, on faisait tous partie du clan des nullipares en souffrance, ou des demandeurs du petit bonheur suivant. Des non-parents pourtant si volontaires, tellement qu'on était prêts à assumer le regard des autres, à accepter les retards considérables des rendez-vous (on a parfois attendu plus de deux heures, et ça m'est arrivée d'être oubliée, tellement l'équipe est débordée), à abandonner notre pudeur quand les infos fusaient des murs trop fins. Et ce téléphone qui sonne en permanence, parce que la liste est longue, parce qu'on veut avoir des nouvelles ou qu'on s'embrouille dans les protocoles si contraignants, parce qu'il y a des drames et des merveilles qui se jouent parfois en un coup de fil. (oui, je vous raconterai dans un autre billet l'Annonce). Et évidemment, depuis la salle d'attente on entend beaucoup...
Dans cette salle d'attente on était souvent deux, équipés au fil du temps de notre expérience, de notre marge pour les retards, de notre attirail de patience (une tablette chargée pour lui, un gros bouquin passionnant pour moi, des cachous pour les deux et tant pis si on a les dents jaunes quand la doc nous appelle). Parfois plus que deux, quand tel un papa de banquise, il couvait sous son manteau pour-que-ça-reste-à-bonne-température le tube récupéré au labo FIV pour une insémination de l'autre côté de la rue. Et j'y étais aussi seule, pour ces rendez-vous d'échos de contrôle, ceux de très-tôt-le-matin, ceux que tu digères ensuite dans ta voiture selon les infos. Parce qu'il faut parfois essuyer les larmes avant de reprendre le volant et d'aller faire bonne figure au travail, alors que ces foutues piqûres depuis des jours n'ont pas donné le résultat espéré. Ou qu'il faut profiter d'un espoir sans s'emballer. Et lui donner un compte-rendu par sms, toujours, parce que même toute seule il était avec moi. En sortant de cette salle d'attente j'ai éprouvé de grands désespoirs, j'ai envié terriblement à m'en sentir coupable, j'ai collectionné les "c'est pas juste", j'ai dû réactiver l'optimisme en moi, me convaincre par des "au moins on aura tout essayé", ou des "allez, encore une fois"...
Mais dans cette salle d'attente il y a eu aussi des fous-rires à deux, des jolis moments, des retrouvailles au départ gênées et puis finalement-c'est-la-vie et tiens, vous aussi vous partagez cette aventure? J'ai vu une mamie béate qui venait déposer des bouquets en remerciement d'une cigogne aidée par l'équipe, des livreurs déposer des boites de chocolat, j'ai puisé de l'énergie dans les regards compréhensifs et sincères de parfaites inconnues qui m'envoyaient de la pure compassion quand ma doc me raccompagnait d'un "allez, on y croit, n'abandonnez pas!". J'ai uni ma haine silencieuse à celle des autres quand des patients osaient venir dans cette salle avec un enfant, le sacrilège ultime. Alors que je comprenais bien l'envie d'un 2ème, l'impossibilité de le faire garder....mais non, c'était décidément trop violent pour les espérants qu'on était. J'ai salué, j'ai souhaité des "bonnes journées" qui étaient en fait des "on croise les doigts", j'ai répondu à des questions, j'ai fait des séances de méditation en fermant les yeux, j'ai dévoré des livres bons ou mauvais.... J'ai eu le temps de rêver mes nuages de bonheur, de me projeter dans un résultat positif, de construire notre chance de tenir bébé nuage dans nos bras.
Et un jour j'y suis retournée pour la dernière fois, pour dire au-revoir-et-tellement-merci à la doc, pour signer la déclaration de grossesse de bébé nuage. Je ne sais pas si les occupants de la salle d'attente ont traduit nos sourires de joie pure, ont compris qu'on avait basculé dans l'autre camp même si c'était fragile et qu'on savait bien qu'il fallait attendre que ça tienne. Mais ce jour-là les fesses posées pour la dernière fois sur ces chaises inconfortables, je me suis dit que ça valait la peine, et j'ai essayé très fort d'envoyer cette énergie autour de moi.
Peu après, cette salle d'attente a été refaite entièrement, ils ont peut-être ajouté des chaises, et le standard est enfin automatisé, avec des possibilités de contact par mails. Ce n'est plus la salle d'attente de notre histoire et j'aime imaginer que cette page s'est tournée avec notre +++. Je pense souvent aux nouveaux attendants qui ont pris notre place, en leur souhaitant autant de ténacité, de résilience et d'endurance que nous pour voir arriver l'éclaircie.