Je suis une précieuse. Pas une princesse pourrie-gâtée qui lève le petit doigt en buvant du thé ou un personnage de Molière. Juste un bébé nuage née d'une PMA, et quand on fait partie du club des "enfin après beaucoup d'essais et d'assistance médicale", les gentils médecins appellent ça des "grossesses précieuses". De la poésie et des paillettes, ou un clin d’œil à Tolkien, et une façon de toujours faire sentir à mes parents que la petite flamme est fragile, qu'il ne faut pas souffler dessus en étant imprudents, qu'il faut l'entretenir avec patience et amour. D'ailleurs mon papa voulait emballer ma maman dans du papier bulle, c'est une autre histoire que je vous raconterai un jour.
Bref, précieuse ça veut dire que quand mes parents ont su que j'étais là, quand ils ont vu mon cœur clignoter à la première écho, la doc leur a bien fait comprendre que cette éclaircie inespérées dans leurs orages devait se confirmer, qu'il fallait être prudents et ne pas le crier sur tous les toits, qu'il fallait se protéger le cœur. Moi pendant ce temps, je clignotais.
A la première écho officielle la madame a estomaqué mes parents en leur annonçant que j'étais une fille. Ils étaient soufflés, un peu perturbés de le savoir si tôt, surtout que c'était juste une hypothèse à confirmer (bref, on était bien avancés). Mais surtout, elle leur a parlé courbe et percentiles, formule de calcul savant et moyennes, alors qu'ils voulaient entendre bonheur et soulagement, nuage blanc et félicité. Moi pendant ce temps là je m'installais.
Comme maman ne prenait pas de poids (et bon, c'est pas non plus une brindille, ma maman nuage), les docteurs qui l'avaient déjà arrêtée parce qu'elle tombait dans les nuages de tension basse, ont commencé à parler de petit bébé. Parce que la 1ère écho était sur la courbe basse, ils ont refait des "échos de contrôle"; les courbes flirtaient encore avec les limites basses, mes parents faisaient des yeux inquiets devant les fameux percentiles à 10, puis 2. Ils se faisaient des soucis. Moi pendant ce temps là je prenais mon temps.
A la fin du 2ème trimestre, les courbes étaient toujours fâchées, maman prenait du poids quand même. Mais là les gens qui font des photos floues de nous dans le ventre de maman ont encore décidé de stresser mes parents, en disant que si je ne grossissais pas plus, il fallait vérifier qu'il n'y avait pas rupture de croissance, et que peut-être je naîtrais avant (MAP qu'ils disaient, et c'était pas aussi drôle que le bruit que ça fait quand on le dit). Heureusement que la super sage-femme de maman calmait le tout, et mettait des aiguilles qui détendent en piquant. Moi pendant ce temps là je remuais et voulais dire que tout allait bien.
Pour le dernier trimestre, papa et maman nuage et leur entourage ont décidé que stop, cette grossesse était précieuse plus que tout. Que les risques et les percentiles flûte alors, que les estimations de poids zut de zut, et que si ils n'en profitaient jamais ils le regretterait alors que c'était que du bonheur, non mais. Ils se sont dit que tant mieux si j'étais petite, je sortirais plus facilement, et que leur cœurs élastiques s'adapteraient à toutes les tailles. Ils étaient aussi rassurés d'avoir dépassé ces foutues dates limites de prématurité-le-mot-pire-que-Voldemort. Moi pendant ce temps là je préparais ma surprise.
Histoire de faire mentir les statistiques et les méchantes courbes, histoire de commencer ma vie par un pied de nez, j'ai décidé que non, je ne serai pas petite finalement. Et tiens, même que pour aller jusqu'au bout de ma rébellion je le dépasserai, le bout. Le terme. Je ferai du rab d'attente, du rab de cocon dans le ventre de maman et sous les caresses de papa. Je suis née à terme + 1, avec 3,180 kgs et les yeux grands ouverts.
Mes parents ont fini par comprendre que les chiffres c'est bien, mais que la confiance, l'attention et l'amour, c'est mieux.